Nous venions de passer un 3ème barrage filtrant. L'omniprésence des forces de maintien de l'ordre exacerbait une tension impalpable qui emplissait l'atmosphère comme un gaz inflammable. À chaque fouille, et derrière chaque invective policière, l'air chaud, à l'intersection des corps, était le vecteur d'échanges pour l'instant cordiaux mais qui pouvaient à tout moment engendrer une étincelle. Tandis que la tour Eiffel surgissait peu à peu à l'horizon rougeoyant, je serrais plus fort la main dans la mienne et tournais une énième fois dans ma tête la même question ; aucun de nous deux n'avait légitimé la relation étrange qui nous unissait. Je n'étais pas seul à vivre avec un robot, loin de là. Je n'étais certainement pas non plus le seul à en être tombés amoureux. Mais s'afficher en public main dans la main ? Ça ne se faisait pas. Ça n'était pas dans les mœurs, on vivait sa robosexualité un peu comme on vivait son homosexualité par la passé, caché. Je considérais qu'un pacte implicite avait été signé par nos âmes. Qu'il nous fallait assumer...
Je serrais plus fort la main dans la mienne, conscient que ma tribu marchait désormais sur un étroit chemin de crête. Je redoutais la violence, c'est vrai. Pourtant, je n'arrivais pas à la mépriser. Il me semblais que qu'en le faisant, je perdrai toute légitimité à crier liberté, à exiger l'égalité et qu'un tel mépris m'enlèverait finalement toute raison de souhaiter la fraternité. Il n'y avait que peu de chances pour que cette étincelle éphémère si jamais elle explosait un temps en une fureur incontrôlable ne se transforme à la longue en une flamme d'utopie stable. Une chance insignifiante. Une chance statistiquement hautement improbable. La même chance peut-être qu'il avait fallu aux Hommes pour domestiquer le feu. Une chance déraisonnable....